Dérives et impasses du Solarpunk

Le solarpunk repose sur un imaginaire technique impossible, en spéculant des mondes utopiques alimentés par les énergies “renouvelables” du capitalisme tardif. Ces technologies dîtes “vertes” sont en réalité “grises”, elles nécessitent une grande quantité d’énergie et de pollution pour leur extraction, transformation, fabrication, production, transport, mise en œuvre, entretien et enfin le recyclage. Elles sont dépendante de l’extractivisme et du colonialisme et ne peuvent pas être synonyme de durabilité environnementale et de justice sociale. Des utopies reposant sur ces technologies font la publicité de la possibilité d’un capitalisme vert.
Si les récits solarpunk font l’impasse des cycles de vie des technologies spéculées, ils deviennent toxiques.
De plus, construire des futurs désirables sur bases d’innovation technologique alimente notre manière technosolutionniste d’appréhender l’avenir (c’est pq je préfère le concept de Hopepunk)
Qui et comment sont extraites les matières premières des technologies spéculées? Qui possède les infrastructures énergétiques et comment sont elles gérées? Les récits solarpunks niant ces questions sont préjudiciables et contraires aux intentions formulées dans le manifeste solarpunk.

Nous discutons ce sujet sur mastodon avec les auteurs Michael Roche et Allius :

Dans cette vidéo, j’ai découvert le concept de protopie comme caractéristique du solarpunk. Et de ce que je comprends du concept, c’est précisément ce qui me pose problème dans le solarpunk.

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Pour repartir depuis Reza Negarestani ici

L’extractivisme et le capitalisme sont aussi basé sur la production de violences qui permettent d’instauré un régime à coûts acceptables (selon les règles du marché capitaliste) de production et de maintient du travail à la limite des contions matériels de vie de la force de travail.

Voir aussi ce retour d’arpentage sur la RDC

Ces violences sont source de traumatismes. Ce que Reza Negarestani travaille frontalement comme axe de réflexion dans sa fiction spéculative Cyclonopedia.
Les traumatismes ont, entre autres conséquences, la séquelle de rendre ordinaire les violences subies, jusqu’à ce qu’elles sont intégrées comme règles tacites fondamentales des rapports des un⋅es aux autres dans le cadre d’un régime générale d’échanges. Il en ressort possiblement une perpétuation, voulue consciencieusement ou non, de ces violences et/ou un recherche de configuration dans laquelle ces violences peuvent être reçues à moindre dommage − et d’en tirer un avantage fonctionnel (ex: une personne victime de violences peut être dans l’excellence de travail pour enquêter sur tel sujet ou pour prendre soin d’autres victimes).

Le manifeste SolarPunk ne reflète probablement pas les existantes diversités de pensées et de pratiques (et d’ontologies) du SolarPunk. Cependant, ce manifeste n’aborde pas ce angle du Trauma reçu par l’extractivisme et le capitalisme. Cette invisibilité d’un lourd fondement hérité laisse alors potentiellement s’écouler dans les courants du SolarPunk une continuation des violences, quand bien même sous de formes transformées (comme l’on transforme la matière extraite du sol pour en faire « autre chose »).

Nous pouvons aussi tirer les fil de ce problème vers ce que mentionne comme argument Michael Roch :

Le centre du mouvement Solarpunk n’est pas sa technologie , mais sa pensée politique de l’habité terrestre […]

car la pensée politique de l’habité terrestre passe par nos rapports à ce qui nous entoure et à ce qui nous fabriquons et défabriquons / démantelons, et ces ces rapports sont réellement cosmotechniques et cosmopolitiques − et que la non considération de continuité des violences dans ses rapports se traduit très souvent dans le couple « pensée politique / technologie ».

Le SolarPunk pouvant aussi être vu et lu comme une tentative de pouvoir depuis une marge qui tente faire bouger un centre. Alors évidement les affirmations enduites et de André Leroi-Gourhan et Gilbert Simondon sur les groupes disposant d’une « technologie industrielle avancée » qui auraient été en mesure d’accroître leur influence par rapport aux groupes disposant d’une technologie préindustrielle pourrait être appliquées aux SolarPunk. La science avançant, ces théories sont aujourd’hui revues et retravaillées (cosmotechniques).

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J’ai du mal à tout comprendre le travail de Yuk Hui. Mais ça semble fort stimulant.

Jeudi 8 mai 20h, Michael Roch fait un atilié sur le solarpunk / Hopepunk. J’ai hâte.

Je me demande si celà suffirait un point dans le manifeste qui insisterais sur l’importance d’ouvrir les boites des noires des cycles de vies des technologies - ou affiné le point 20 -

(…)
20- Le Solarpunk conçoit un environnement construit adapté de manière créative pour tirer parti de l’énergie solaire en utilisant, entre autres, différentes technologies. L’objectif est de promouvoir l’autosuffisance et la vie dans les limites naturelles.
(…)

Genre :
“-Le Solarpunk refuse toute forme de colonialisme. Les technologies solarpunk sont développées sur les principes d’autonomie technologique et de transparences de leurs cycles de vie. Leurs reproductions sont basées sur le recyclage et non l’extractivisme coloniale.”

Même avec ces précautions, y’a un aspect technosolutionniste qui me dérange toujours ^^'.

j’aimerais bien avoir le point de vue de @natacha et @how suite à leur résidence d’écriture autours de l’hydrogène. https://thx.zoethical.org/c/hydromagic/37

Je partage ton sentiment sur la corrélation entre Solarpunk et techno-solutionnisme. D’ailleurs je viens de commenter à ce propos la nouvelle « Sahara Solaris » de Nnedi Okorafor parue dans SOLEIL•S : 12 Fictions Héliotopiques - La Volte - Read - THX :

Bien qu’elle dénonce dans la mise en œuvre de Noor Ourzazate la démarche capitaliste de l’État marocain, je trouve que son approche reste aveugle entièrement aux ressources minières nécessaires à ces projets d’énergie solaire à grande échelle et qu’elle prend, de fait, une position techno-solutionniste pour imaginer une Afrique émancipée, revivifiée par l’exportation d’énergie – alors que nous connaissons bien la structure des investissements néo-coloniaux sur le continent, et l’exploitation désastreuse des matières premières, inscrites dans l’histoire coloniale et militaire de l’Europe, des États-Unis, et à présent de la Chine. J’avoue que cet aspect m’a déçu de la part de cette autrice.

J’ignore si cette nouvelle entre dans la catégorie « solarpunk », mais comme le sujet du recueil est le soleil, je me dis que si.

Pour répondre à ta question par rapport à Hydromagic, en effet, la question des minerais est une question omniprésente dans notre démarche. D’ailleurs les industriels ne s’y trompent pas et possèdent déjà des réponses à nos questions : par exemple, à la question des réserves de platine, indispensables aux catalyseurs utilisés pour séparer les atomes d’hydrogène des molécules d’eau et estimés à une trentaine d’années – sans tenir compte de l’usage exponentiel que ces techniques pourront engager – l’industrie mise sur le recyclage. Lorsqu’øn sait qu’une voiture électrique consomme deux fois plus de métaux rares qu’une voiture à pétrole, øn peut légitimement douter de la justesse des évaluations lancées souvent comme preuves du bien-fondé de la « transition » vers le tout-électrique ; comme d’habitude, l’approche progressiste insiste sur les solutions sans remettre en question les usages de l’énergie : la fuite en avant fait intégralement partie du projet et le pari, comme le résume bien la nouvelle de Nnedi Okorafor, est qu’une gamine vivant dans une grotte « découvre » la technologie qui permettra le rechargement des appareils électriques à distance sans brûler les oiseaux qui s’approchent trop près des installations et dont øn doit nettoyer les restes calcinés sur les miroirs surchauffés.

Quelle que soit la quantité de recyclage effectif, celui-ci réclame de l’énergie, beaucoup d’énergie et une quantité non négligeable de produits chimiques et d’eau. D’une manière ou d’une autre, c’est toujours la phrase de Lavoisier qui revient hanter la technologie : « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. » En revanche, tout ne se transforme pas à volonté : le plomb ne devient toujours pas de l’or, et l’extraction des métaux rares réclame toujours des tonnes et des tonnes de gravas, l’extraction de carbone stocké dans les sols, la pollution massive des sous-sols y compris des réserves d’eau potable, et la libération de radioactivité dans l’air – sans compter les dommages au vivant, humanz compriz. Tant que ces « externalités » ne seront pas prises en compte, le capitalisme trouvera toujours l’oreille des investisseurs qui saliveront sur la projection des profits. L’un des éléments qui pourrait garantir la disponibilité des métaux rares, des métaux moins rares, tous nécessaires à la « transition énergétique » (qui n’aura pas lieu), dans des proportions qui ne généreraient pas une augmentation des émissions de carbone (et d’autres gaz à effet de serre) serait de cesser tout ce qui consomme bien trop de ces ressources : la course à l’espace, les véhicules électriques individuels, l’aviation civile et surtout militaire, et l’ensemble des armements des dites grandes puissances, celles qui utilisent plusieurs planètes chaque année en blâmant les pays dits pollueurs, principalement ceux qui leur fournissent les matières premières, ceux qui fabriquent leurs marchandises, ceux qui reçoivent leurs bombes.