Je partage ton sentiment sur la corrélation entre Solarpunk et techno-solutionnisme. D’ailleurs je viens de commenter à ce propos la nouvelle « Sahara Solaris » de Nnedi Okorafor parue dans SOLEIL•S : 12 Fictions Héliotopiques - La Volte - Read - THX :
Bien qu’elle dénonce dans la mise en œuvre de Noor Ourzazate la démarche capitaliste de l’État marocain, je trouve que son approche reste aveugle entièrement aux ressources minières nécessaires à ces projets d’énergie solaire à grande échelle et qu’elle prend, de fait, une position techno-solutionniste pour imaginer une Afrique émancipée, revivifiée par l’exportation d’énergie – alors que nous connaissons bien la structure des investissements néo-coloniaux sur le continent, et l’exploitation désastreuse des matières premières, inscrites dans l’histoire coloniale et militaire de l’Europe, des États-Unis, et à présent de la Chine. J’avoue que cet aspect m’a déçu de la part de cette autrice.
J’ignore si cette nouvelle entre dans la catégorie « solarpunk », mais comme le sujet du recueil est le soleil, je me dis que si.
Pour répondre à ta question par rapport à Hydromagic, en effet, la question des minerais est une question omniprésente dans notre démarche. D’ailleurs les industriels ne s’y trompent pas et possèdent déjà des réponses à nos questions : par exemple, à la question des réserves de platine, indispensables aux catalyseurs utilisés pour séparer les atomes d’hydrogène des molécules d’eau et estimés à une trentaine d’années – sans tenir compte de l’usage exponentiel que ces techniques pourront engager – l’industrie mise sur le recyclage. Lorsqu’øn sait qu’une voiture électrique consomme deux fois plus de métaux rares qu’une voiture à pétrole, øn peut légitimement douter de la justesse des évaluations lancées souvent comme preuves du bien-fondé de la « transition » vers le tout-électrique ; comme d’habitude, l’approche progressiste insiste sur les solutions sans remettre en question les usages de l’énergie : la fuite en avant fait intégralement partie du projet et le pari, comme le résume bien la nouvelle de Nnedi Okorafor, est qu’une gamine vivant dans une grotte « découvre » la technologie qui permettra le rechargement des appareils électriques à distance sans brûler les oiseaux qui s’approchent trop près des installations et dont øn doit nettoyer les restes calcinés sur les miroirs surchauffés.
Quelle que soit la quantité de recyclage effectif, celui-ci réclame de l’énergie, beaucoup d’énergie et une quantité non négligeable de produits chimiques et d’eau. D’une manière ou d’une autre, c’est toujours la phrase de Lavoisier qui revient hanter la technologie : « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. » En revanche, tout ne se transforme pas à volonté : le plomb ne devient toujours pas de l’or, et l’extraction des métaux rares réclame toujours des tonnes et des tonnes de gravas, l’extraction de carbone stocké dans les sols, la pollution massive des sous-sols y compris des réserves d’eau potable, et la libération de radioactivité dans l’air – sans compter les dommages au vivant, humanz compriz. Tant que ces « externalités » ne seront pas prises en compte, le capitalisme trouvera toujours l’oreille des investisseurs qui saliveront sur la projection des profits. L’un des éléments qui pourrait garantir la disponibilité des métaux rares, des métaux moins rares, tous nécessaires à la « transition énergétique » (qui n’aura pas lieu), dans des proportions qui ne généreraient pas une augmentation des émissions de carbone (et d’autres gaz à effet de serre) serait de cesser tout ce qui consomme bien trop de ces ressources : la course à l’espace, les véhicules électriques individuels, l’aviation civile et surtout militaire, et l’ensemble des armements des dites grandes puissances, celles qui utilisent plusieurs planètes chaque année en blâmant les pays dits pollueurs, principalement ceux qui leur fournissent les matières premières, ceux qui fabriquent leurs marchandises, ceux qui reçoivent leurs bombes.